Aux pays de l’or noir… (Partie 1) : États-Unis : qui contrôle le pétrole écrit l’Histoire

L’objectif prioritaire : contrôler l’approvisionnement des puissances concurrentes à la source

Pour autant, il serait simpliste de considérer que l’appropriation des réserves pétrolières est le but ultime ou central de l’interventionnisme américain. Avec l’exploitation du gaz de schiste, les États-Unis sont devenus autosuffisants en hydrocarbures. La hausse de la production de gaz de schiste à partir de 2008 a progressivement permis aux États-Unis de se rapprocher de l’autosuffisance énergétique en 2018. Les répercussions sur la politique extérieure américaine sont importantes, puisqu’à court terme, la protection des couloirs maritimes et la « sécurisation » des zones de guerre au Moyen-Orient cessent d’avoir pour objectif premier d’assurer la sécurité énergétique des États-Unis, si tant est que ce fût jamais le cas. En effet, le contrôle des principales réserves pétrolières du monde permet surtout de maîtriser l’accès que pourraient y avoir les puissances concurrentes (dont la Chine), de menacer les routes d’exportation du pétrole russe en Asie centrale et en Europe de l’Est, et d’obtenir des contrats aux entreprises pétrolières américaines. 

Depuis 2017, un isolationnisme en trompe-l’œil

La politique pétrolière américaine peut donc envisager des buts élargis, et poursuivre une stratégie visant tout d’abord à affaiblir ses adversaires en pesant sur le volume de production de l’Arabie Saoudite, principal membre de l’OPEP dont l’offre influence fortement les cours mondiaux du pétrole. Ce faisant, les États-Unis renouent avec la tactique qui leur avait permis d’affaiblir l’URSS dont l’économie reposait essentiellement sur les prix du pétrole. Dans les années 1980 tout comme de nos jours, la production saoudienne constitue l’outil le plus efficace pour priver, hier l’URSS, aujourd’hui la Russie, l’Iran et le Venezuela, d’une partie de leurs revenus. Si Trump temporise pour l’instant avec l’Iran, faute d’avoir pu parvenir à un consensus avec le reste de l’OTAN, et aussi peut-être parce qu’il a pris la mesure de la puissance de ce pays dans la région (du Liban au Yémen), il se recentre sur l’Amérique latine. Combinée aux sanctions imposées à ces États, cette arme a un effet redoutable sur les budgets nationaux. Les régimes les moins résistants se trouvent déstabilisés par une inflation galopante, des troubles à l’ordre public et, dans le cas du Venezuela, une atmosphère quasi insurrectionnelle. Ce dernier, qui dispose des premières réserves pétrolières au monde, reste suspendu à une intervention des États-Unis et de ses alliés régionaux (Brésil et Colombie) pour installer Juan Guaido au pouvoir à la place de Nicolas Maduro.  Ainsi, le prix du baril est en baisse constante malgré la hausse de la demande mondiale, notamment chinoise.

Conclusion : une souveraineté énergétique précaire

Pour suivre les évolutions de la politique pétrolière américaine, et sans prétendre disposer d’une méthode infaillible, il est nécessaire de combiner un certain nombre de facteurs déterminants. Le gaz de schiste a eu un fort impact sur la politique extérieure américaine. Le soutien aux ennemis de Bashar Al-Assad est devenu plus discret à mesure que les bénéfices des interventions au Moyen-Orient se faisaient moins clairement profitables. Sous la présidence de Donald Trump, l’interventionnisme américain se concentre pour l’instant en priorité sur la zone des Amériques, où il est relativement moins coûteux, puisque les États-Unis y disposent d’alliés régionaux plus nombreux qu’au Moyen-Orient. La rhétorique et l’idéologie affichée des présidents successifs sont un autre paramètre permettant de décrypter certaines intentions.

Le néoconservatisme de l’administration de George Bush Jr était une idéologie prônant l’interventionnisme et le changement de régime partout dans le monde ; le multiculturalisme d’Obama opposant société ouverte et obscurantisme religieux a servi de prétexte à la poursuite de la « guerre contre le terrorisme » dans tout le monde arabe, malgré les promesses de fermeture de Guantanamo et de désengagement des troupes américaines d’Iraq et d’Afghanistan. Le relatif retour à l’isolationnisme (dans le discours, du moins) de Trump fait coïncider une plus grande concentration sur la politique intérieure américaine et une attitude moins résolument belliqueuse au Moyen-Orient. 

Toutefois, les réserves de gaz de schiste pourraient avoir été surestimées, et les bassins exploités semblent de moins en moins productifs ; or ils représentent deux tiers de tous les nouveaux puits forés dans deux des plus grandes régions pétrolières américaines. 

La découverte de gaz de schiste dans d’autres pays, en Argentine notamment, mais surtout en Chine, qui clame posséder les plus grandes ressources mondiales, pourrait très bien changer à nouveau de façon drastique la distribution du pouvoir énergétique entre les États-Unis et leurs concurrents. 

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