Endettement : les États africains ont-ils retenu la leçon de l’Histoire ?

Avec des niveaux de dette en forte progression et une dépendance toujours aussi importante aux recettes volatiles tirées des matières premières, les pays africains se retrouvent une nouvelle fois en position de vulnérabilité économique. Une situation dont ils ont déjà souffert par le passé et qui pourrait encore se répéter.

« Attention, danger ! » Tel est en substance le message de l’agence de notation Moody’s à l’adresse des États africains, dont la tendance à l’endettement va de nouveau croissant. Dans un rapport publié le 18 février, les équipes de l’institution financière rappellent ainsi que « le poids de la dette a aujourd’hui quasiment doublé par rapport à 2010 et semble peu enclin à diminuer, ce qui soulève des préoccupations quant à sa soutenabilité ». Des propos que corroborent sans équivoque les chiffres : le taux d’endettement moyen des pays d’Afrique subsaharienne atteint désormais 52 % du PIB, contre 27 % en 2010. Une progression inquiétante, qui doit beaucoup à l’appétence toujours plus forte des États africains pour les marchés internationaux de dette obligataire (les fameuses « eurobonds », dont les émissions n’ont cessé de se multiplier, voir graphique ci-dessous). Certes, dans l’absolu, ces niveaux d’endettement semblent raisonnables comparé à ce qui s’est parfois vu ailleurs (98 % en France, 107 % aux États-Unis et jusqu’à… 238 % au Japon), mais ils éludent la nature du risque de défaut de paiement de ces pays, ceux-ci étant à la fois très dépendants de leurs exportations de matières premières – aux cours volatils – et mal armés pour mobiliser des recettes fiscales domestiques. De ce point de vue, l’épidémie actuelle de coronavirus, partie de Chine début décembre 2019 et qui grippe aujourd’hui l’économie mondiale, n’est que la dernière illustration de ce risque structurel associé au continent.

L’évolution des émissions d’eurobonds africaines depuis 2003 : une progression inquiétante

Autre motif de préoccupation souligné par Moody’s, une « plus grande dépendance » que par le passé vis-à-vis des prêts commerciaux ou bilatéraux (la Chine, avec son système de troc « argent contre matières premières », est ici clairement pointée du doigt), beaucoup plus coûteux que les prêts confessionnels accordés par les institutions financières multilatérales (Banque mondiale, FMI, Banque africaine de développement).

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Apprendre de l’Histoire

Un constat sans fard qui ne peut que nous pousser à nous poser cette question : les gouvernants africains n’auraient-ils donc rien appris de l’Histoire ? Il est aisé de l’oublier aujourd’hui, mais les premières années de la période post-indépendance ont été une période faste. Portées par les cours favorables des matières premières, les économies africaines connaissent alors une forte croissance, qui se prolongera jusqu’à la fin des années 1970. Mais la structure économique des pays du continent porte déjà en elle les germes des difficultés à venir : économie de rente entièrement tournée vers l’exportation de produits primaires à faible valeur ajoutée, corruption et clientélisme, faiblesse de l’intégration régionale… Par la suite, la chute brutale et durable des cours des matières premières exportées ainsi que l’explosion des taux d’intérêt du service de la dette, au début des années 1980, ont eu pour conséquence de faire plonger le continent. Appelées en renfort, les institutions de Bretton Woods (FMI et Banque mondiale) imposent un régime drastique et sans concessions. C’est l’ère des ajustements structurels, de la décroissance et de la déliquescence des États, qui durera jusqu’à la fin des années 1990 et qui pèsera très lourdement sur les populations. Les premières années du nouveau millénaire marquent cependant un tournant. Après vingt ans de sacrifices, la situation économique du continent s’améliore enfin sensiblement. La dette a été jugulée, les finances publiques ont été assainies et l’inflation maîtrisée. Autant de facteurs favorables qui ont permis à l’Afrique de renouer, in fine, avec la croissance (4,7 % en moyenne annuelle sur la période 2001-2018).

Choix économiques

Aujourd’hui, c’est toutes ces avancées durement gagnées au cours des deux dernières décennies qu’il faut protéger, notamment en évitant les décisions court-termistes consistant à s’endetter dans l’immédiat pour laisser ensuite payer les générations futures. On ne ferait alors que reproduire les erreurs du passé, sans en avoir rien appris. Il n’y a pas de fatalité et, là encore, l’étude des choix économiques de certaines nations africaines peut s’avérer instructive. À ce titre, il est révélateur de constater que les pays africains les plus capables de s’adapter à une potentielle chute de leurs recettes, toujours selon Moody’s, seraient le Rwanda, Maurice, et la Côte d’Ivoire, c’est-à-dire des pays à l’économie relativement diversifiée et où les pouvoirs publics ont mis en place des stratégies de remontée rapide des filières afin de capter la plus large portion possible de la valeur ajoutée produite, gage d’une moindre sensibilité aux variations de prix des matières premières. À chacun ses choix et ses trajectoires de croissance. Des trajectoires qui restent néanmoins susceptibles d’être infléchies, à la lumière des leçons de l’Histoire.