Madagascar : la ruée vers l’« or vert » et ses effets pervers

Hery Andriamiandra et Jacques Leroueil

Très élevé, le cours actuel de la vanille fait les affaires de Madagascar, premier producteur mondial. Mais derrière l’effet d’aubaine, se cachent nombre de conséquences négatives. Décryptage.
La rue du marché à Sambava, capitale mondiale de la vanille.
Crédit photo : T. Bernardo

« Une glace à la vanille offerte pour tout enfant accompagné », « Deux boules de glace vanille pour le prix d’une ! ». En cette période estivale, les artisans glaciers rivalisent d’ingéniosité pour attirer les vacanciers écrasés de chaleur. Un engouement pour les plaisirs gelés qui résonne comme une douce mélodie aux oreilles des cultivateurs environnant Sambava, la capitale malgache de la vanille. Et pour cause : à près de 500 dollars le kilogramme, cette épice est aujourd’hui l’une des plus chères au monde après le safran, avec un cours presque aussi élevé que celui de l’argent (545 dollars/kilo). Une aubaine pour Madagascar, qui représente plus de 80 % de l’offre globale, et dont la production flirte depuis deux ans avec les 2 000 tonnes. De fait, les cours actuels ont beau être inférieurs aux niveaux stratosphériques atteints en 2017 après le passage du cyclone Enawo (jusqu’à plus de 600 dollars le kilogramme… contre 30 dollars encore en 2012), ils n’en constituent pas moins une véritable fortune dans un pays où le revenu annuel par habitant plafonne à 471 dollars, plaçant l’île rouge au cinquième rang des nations les plus pauvres de la planète après le Soudan du Sud, le Burundi, le Malawi et la République centrafricaine.
Résultat : dans les rues de la provinciale Sambava, on ne compte plus les 4×4 tape-à-l’œil des négociants enrichis par le commerce de la précieuse épice et les motos rutilantes de « fils à papa », qui slaloment au milieu des nids-de-poule.

Un effet richesse également perceptible sur les chiffres de la balance commerciale : avec 894 millions de dollars de valeur expédiée à l’étranger en 2017, la vanille est aujourd’hui le premier produit d’exportation de la Grande Île, loin devant le nickel (414 millions) et les matières textiles (288 millions). De la parfumerie à la pâtisserie, en passant par les sodas, yaourts, crèmes glacées et autres produits de grande consommation moins soupçonnables comme la lessive, le tabac et les médicaments, la demande ne semble pas prête de se tarir, l’arôme vanille restant le plus aimé et le plus utilisé au monde.

De la liane à la gousse, un travail de longue haleine

Pourtant, à y regarder de plus près, la fièvre de la vanille est loin d’être une bénédiction. Dans ce remake malgache de la ruée vers l’or californienne, le décor planté est toujours le même : la réussite insolente d’une petite minorité attise la convoitise d’une foule d’appelés, qui (sur)vivent d’expédients en attendant de toucher un hypothétique pactole. Au nord-est de « Mada » dans la région Sava, où est produite la grande majorité de la vanille malgache, la pauvreté est aussi endémique que dans le reste du pays, et la population gagne en moyenne un euro par jour.

La région Sava (en rouge), principale zone productrice de la vanille malgache, est l’une des vingt-deux régions de Madagascar. Son nom est un acronyme formé à partir de ceux de ses quatre districts : Sambava, Antalaha, Vohemar et Andapa. Située dans la partie nord-est de l’île, elle appartient à la province de Diégo-Suarez et a pour capitale Sambava (source : Wikipedia).
Crédit : Sadalmelik

Or, si tout le monde veut profiter du filon de la vanille, sa culture, elle, est loin d’être une sinécure. Contrairement à d’autres régions du globe comme l’Amérique du Sud (notamment le Mexique, dont l’orchidée est originaire), où la fécondation est assurée par la melipone ou Melipona – un genre d’abeille sans aiguillon –, à Madagascar, en l’absence d’animaux fécondateurs suffisamment efficaces, l’orchidée doit être pollinisée manuellement1. La plante ne produit de fleurs qu’après trois à cinq années de culture. La période de floraison dure deux à trois mois pendant lesquels les producteurs doivent quotidiennement polliniser les fleurs. Celles-ci s’ouvrant généralement la nuit et pour une seule journée, leur fécondation manuelle ou artificielle doit s’effectuer avant midi. Il faut ensuite attendre huit à neuf mois avant que les fruits (les fameuses « gousses ») arrivent à maturité. Une fois cueillies, les gousses sont « préparées » selon un procédé traditionnel de transformation qui comprend trois grandes étapes : traitement thermique initial des fruits verts (échaudage et étuvage, durant respectivement 3 min et de 24 à 72 heures), séchage permettant de stabiliser le produit (le séchage complet dure 2 à 3 mois), et enfin, phase d’affinage en atmosphère confinée (processus comparable au vieillissement du vin et s’étalant lui aussi sur plusieurs mois). La préparation peut nécessiter jusqu’à un an et demi de travail afin que les gousses atteignent leur plein potentiel aromatique… et financier. C’est notamment le cas de la vanille Gourmet, qui représente environ 10 % du marché.

1 Selon une technique qui a rendu célèbre un esclave de la Réunion, Edmond Albius, qui l’avait mise au point en 1841.

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