Joanne Lebert, directrice exécutive de l’ONG Impact : « La contrebande minière est plus que jamais omniprésente en RDC »

Tiré par un cours au plus haut, l’or africain n’a jamais été aussi demandé. Une conjoncture favorable qui contribue néanmoins à renforcer le commerce illicite, dénonce l’ONG canadienne Impact, active sur les enjeux liés à la gouvernance des ressources naturelles. Dans cet entretien, Joanne Lebert, la directrice exécutive d’Impact, revient sur cette épineuse question.

Propos recueillis par Michée Dare

Ressources Magazine : votre ONG est très active dans le secteur minier en Afrique. Quels sont les pays où vous êtes présent et en quoi votre action contribue-t-elle à assainir le secteur ?

Joanne LEBERT : Impact (anciennement «Partenariat Afrique-Canada») opère sur le continent africain depuis 1986. Nous intervenons essentiellement dans les zones où la sécurité et les droits de l’homme sont menacés du fait de l’exploitation des ressources naturelles. C’est à ce titre que nous sommes présents en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire et en Ouganda. Dans ces pays, nous apportons notre expérience et notre expertise sur des sujets tels que les réformes réglementaires, la transparence de la chaîne d’approvisionnement, le commerce et les financements illicites, la protection de l’environnement…

Les besoins sont de fait immenses. Par exemple, en RDC, nous pilotons un projet dénommé «Or Juste», qui vise à une gestion plus équitable de la filière aurifère afin d’améliorer les conditions de vie des acteurs de l’or artisanal, ces derniers vivant le plus souvent dans la plus grande précarité. C’est pour cela que nous pesons de tout notre poids pour faire évoluer les politiques de responsabilité sociale des entreprises impliquées, notamment les multinationales. Celles-ci doivent s’attacher à créer un écosystème durable qui assure une vie décente aux populations autochtones plutôt que privilégier des solutions à court terme.

R:M : Notez-vous globalement une amélioration du cadre législatif dans les pays africains concernés?

Joanne Lebert : Les efforts réalisés dans ce domaine sont loin d’être négligeables mais ce n’est pas suffisant. La meilleure preuve en est que le commerce illicite reste très actif et ce partout sur le continent. En Côte d’Ivoire par exemple, il existe un itinéraire bien connu qui emprunte l’Algérie, via le Mali, avant de rejoindre les Émirats. Idem au Soudan, qui est une plaque tournante de la contrebande de l’or vers Dubaï. Autant de zones grises qui expliquent sans doute que l’effet d’entrainement de la filière minière « formelle » sur le reste de l’économie demeure faible. Notamment en matière de réduction contre la pauvreté. La pire situation reste cependant la RDC, où la contrebande minière est plus que jamais omniprésente.

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R. M : Dans votre dernier rapport, les Intermediaires, vous mettez justement en lumière les effets néfastes de la contrebande et de la corruption dans la filière de l’or congolais. Quelles mesures pourraient freiner ce fléau ?

Joanne Lebert : Au niveau national, une fiscalité attrayante serait certainement un plus pour que les différents acteurs de la chaine d’approvisionnement « jouent » le jeu du commerce formel, en lieu et place de la contrebande. Sur le plan régional, la situation actuelle de la RDC (insécurité dans l’Est du pays , Etat partiellement défaillant…) favorisant la porosité des frontières (et donc la contrebande), la solution ne pourra passer que par une coopération renforcée avec les pays voisins (Rwanda, Burundi, Ouganda). De ce point de vue, des actions coordonnées entre forces de sécurité nationales, de part et d’autres des frontières, réduiraient sans nul doute l’ampleur des flux illicites.

Crédit : IMPACT

Au niveau international enfin, plusieurs mesures fortes ont été prises pour décourager les grands acteurs du commerce illicite, à l’image des Émirats arabes unis, qui sont régulièrement pointés du doigt pour leur faible inclination à contrôler l’origine des produits aurifères importés. Dans une lettre rendue récemment publique, la London Bullion Market Association (LBMA)- par la voix de sa Directrice exécutive Ruth Crowell- a ainsi enjoint les Émirats-  qui importent chaque année plus de 450 tonnes d’or en provenance du continent- à se conformer aux normes internationales de traçabilité de l’or sous peine de se faire exclure de la liste des courtiers internationaux de lingots d’or. Nul doute que ce genre de mesures coercitives est de nature à influencer les pratiques des acteurs du secteur.

R.M : Quel a été l’impact du COVID-19 sur la filière ?

Joanne Lebert : Il est nécessaire d’apporter ici une réponse circonstanciée. S’il est indubitable que la crise a fortement ralenti l’industrie aurifère dans son ensemble, celle-ci n’a pas pour autant mis un coup de frein à la contrebande. Bien au contraire : les activités illicites ont profité du ralentissement du secteur formel pour occuper un « espace » commercial laissé vacant. Et par ricochet, ce sont les conditions de vie et de travail des petits orpailleurs qui ont empiré. Plusieurs morts ont ainsi été recensés dans les mines artisanales de RDC depuis le début de l’année.

R.M : Comment voyez-vous le secteur dans les années à venir ?

Joanne Lebert : L’espoir est permis. En 30 ans, bien de choses se sont améliorées. Les actions conjointes des divers acteurs étatiques comme ceux de la société civile ont produit des résultats encourageants même si l’on souhaite évidemment que les choses aillent plus vite. En défnitive, nous espérons que tous ces efforts, ajoutés à ceux des instances internationales, contribueront à réduire significativement - à défaut de faire disparaître- le commerce illicite de l’or.