Somalie : quand la pêche illégale menace l’économie nationale et régionale…

L'enjeu : comprendre, à travers des données évaluées pour la première fois, comment le phénomène de pêche illégale déstabilise le pays et la sous-région, ainsi que la nécessité de mettre en place une réglementation maritime suffisamment forte pour pallier ce phénomène
Estimées à 300 millions USD selon les chiffres officiels, les pertes engendrées annuellement en Somalie par la pêche illégale représentent quasiment le double de ce que ce secteur pourtant plein de potentiel rapporte chaque année (135 millions USD, soit environ 2 % du PIB national). Une situation alarmante aggravée par l’instabilité chronique du pays, et qui prive des milliers de Somaliens d’un moyen de subsistance déterminant.

Les données officielles de l’État relèvent que ces dernières années, plus de 1 000 navires étrangers seraient descendus dans la zone économique exclusive somalienne en s’engageant dans une pêche non déclarée et non réglementée. Un constat alarmant que l’enquête menée de concert par les ONG Global Fishing Watch et Trygg Mat Tracking entre janvier 2019 et le 24 avril dernier corrobore, en relevant la présence de plus de 200 navires battant en grande majorité pavillon iranien – mais provenant aussi, pour certains, d’Inde, du Pakistan et du Sri Lanka –, qui opèrent sans aucune autorisation le long de l’une des côtes les plus longues (3 333 kilomètres) et les moins protégées d’Afrique continentale. Selon Duncan Copeland, chef analyste à Trygg Mat Tracking, « le nombre de bateaux est énorme, au-delà des capacités de n’importe quel programme national de surveillance » et la situation, si elle n’est pas maîtrisée, risque à terme de « vider les stocks de poisson ». Cette activité illégale permettrait en effet de pêcher plus de 132 000 tonnes de poisson – soit 56 % du total des captures dans la zone économique exclusive somalienne –, d’autant plus facilement que l’État peine à assurer ses patrouilles maritimes en raison de moyens limités.

Si ce phénomène de contrebande met gravement à mal l’économie somalienne, le fait que depuis 2001, le pays reste confronté à une piraterie maritime internationale, à l’arraisonnement illégal des navires et aux trafics en tous genres impacte par rebond celle de toute la région. Pour l’analyste économique malien Aboudramane Coulibaly, cette situation s’explique entre autres par les décennies d’instabilité qu’a connues la Somalie depuis la destitution du président Siyaad Barre en 1991, l’absence d’autorité étatique, ainsi qu’une insécurité persistante avec la résistance des Shebabs. « Ce qui serait souhaitable est que la transition politique actuelle en Somalie puisse faire appel à la communauté internationale dans le cadre de patrouilles mixtes de ratissage à caractère préventif dans les différentes zones maritimes. Il est temps pour la justice pénale internationale d’instruire des dossiers concernant ce type d’infractions dans le domaine maritime, qui font perdre des milliards non seulement dans la Corne de l’Afrique, notamment en Somalie et à Djibouti, mais également aux États côtiers du Golfe de Guinée, et jusqu’en Angola », estime ce dernier.

Fin juin, après que 112 navires iraniens pratiquant la pêche de contrebande aient été identifiés par les autorités, le ministre somalien de la Pêche Abdullah Warsame a indiqué dans un communiqué que « la présence de bateaux iraniens dans les eaux somaliennes est une préoccupation constante. La pêche illégale, non déclarée et irrégulière dans les eaux somaliennes menace gravement la sécurité alimentaire, le développement économique et la souveraineté de la Somalie », rappelant que tous les navires battant pavillon étranger devaient obtenir un certificat d’autorisation. Signe que les autorités entendent faire bouger les lignes, un dossier a à cet effet été déposé à la Commission des Thons de l’Océan Indien. Les pays concernés, et notamment l’Iran, ont 60 jours pour enquêter et prendre des mesures.