La Côte d’Ivoire et le Ghana font machine arrière sur la suspension de leurs ventes de cacao

Dans un énième rebondissement, les deux premiers producteurs mondiaux de cacao ont décidé de lever la suspension de leurs ventes d’or brun, annoncée mi-juin. La nouvelle, publiée par communiqué, est tombée dans la soirée du mardi 16 juillet.

Dans ce texte, le directeur général du Conseil café-cacao de Côte d’Ivoire (CCC), Yves Brahima Koné, et le chef exécutif du Ghana Cocoa Board (Cocobod), Joseph Boahen Aidoo, annoncent, laconiques, que « les deux pays décident de la levée de la suspension des ventes de la récolte 2020/2021 à compter de ce 16 juillet ». Une « reculade » qui tranche avec le ton martial adopté il y a encore peu par les dirigeants nationaux des filières cacao. S’adressant aux industriels du secteur, le patron du Cocobod ghanéen, Joseph Boahen Aidoo, n’avait ainsi pas hésité, début juillet, à signifier à ces derniers que « s’ils ne [voulaient] pas payer le prix (demandé), ils [pouvaient] aller ailleurs ». Depuis, la dynamique du rapport de forces a, semble-t-il, évolué.
Tout a commencé par un audacieux coup de poker. Le 12 juin, par une décision qualifiée « d’historique », la Côte d’Ivoire et le Ghana annonçaient qu’ils ne vendraient plus leur cacao en deçà de 2 600 dollars/tonne, l’objectif premier étant de mieux rémunérer les exploitants agricoles. « Nous avons souhaité que nos producteurs ne vivent plus au gré du marché et vivent décemment de leur travail », justifiait alors Yves Koné, le directeur général du CCC ivoirien.

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De fait, comme le rappelle la dernière enquête des ménages réalisée par le gouvernement ivoirien en 2014/2015, 54,9 % des cacaoculteurs du pays vivraient en dessous du seuil de pauvreté national, avec moins de 757 francs CFA (1,2 dollar) par jour. Une situation peu flatteuse que corrobore une étude de la Société financière internationale, selon laquelle seuls 7 % de la valeur ajoutée générée par la filière cacao seraient captés par les producteurs eux-mêmes (voir graphique ci-dessous).

Filière cacao : répartition de la valeur ajoutée par acteurs (in. « Au pays du cacao – Comment transformer la Côte d’Ivoire », Banque mondiale, juillet 2019)

L’ultimatum des deux pays – qui représentent 65 % de l’approvisionnement mondial en cacao –, bien que non dénué d’arrières-pensées politiques*, avait donc une louable intention et les négociants de la filière ont dans un premier accepté le principe. L’espoir de faire rapidement plier ces grands opérateurs ne s’est cependant jamais concrétisé.

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Organisée le 3 juillet à Abidjan, la rencontre entre les représentants des deux leaders mondiaux du cacao et les industriels de la filière n’a ainsi débouché sur aucun accord, la majorité de ces derniers se refusant à supporter seuls les aléas liés aux fluctuations de prix, au grand dam des exploitants agricoles. Soucieuses de conserver toutes les options ouvertes, et sentant peut-être (déjà) la nécessité de gagner en souplesse, les autorités ivoiro-ghanéennes avaient dans la foulée indiqué qu’elles initieraient de nouvelles rencontres avec les acteurs de la filière. L’annonce par la Côte d’Ivoire et le Ghana de la reprise des ventes de cacao sonne donc aujourd’hui comme un aveu d’échec et pourrait s’achever comme « la guerre du cacao », des années 1980, dans la douleur. À l’époque, le président ivoirien, feu Félix Houphouët-Boigny, avait stoppé les exportations dans l’espoir de faire remonter les cours. En vain. De guerre lasse, après seize mois de bataille « contre les forces occultes du marché », les autorités ivoiriennes s’étaient finalement résolues à vendre leurs fèves de cacao à prix soldé.

*Les deux pays se préparent à une élection présidentielle à l’automne 2020, une période où débutera la récolte de cacao.